En quête de repères
La galerie 1934 est un édicule (datant donc de 1934) situé au bord de la route de Lausanne (Suisse Romande), à la hauteur de l’Hôtel de Ville de Renens, au pied du tracé de la future ligne de trams.
Cette situation particulière et le fait qu’elle comporte un mur devant lequel une foule de personnes circule a donné l’idée aux Tramways Lausannois et Arpenter l’Ouest de créer cette « galerie » donnant sur la voie publique.
Pour la saison 2022-2023, 6 photographes exposent 2 mois chacun une image d’environ 81 x 146 cm. L’image doit être réalisée dans un cercle isochrone de 30 minutes autour de la galerie, sur la voie publique.
Pour ma part, j’ai d’abord parcouru en tous sens le fameux cercle depuis la galerie 1934 : ferme des Tilleuls, gare, silo, dépôt de locos, Renens village, ECAL, ancienne chocolaterie Perrier, Rayon vert, pont bleu, café le Gram, roncier proche et jardins temporaires, place du Corso et fresque d’embarcadère, quartier des rues Jura-Crissier (évoquant un peu le quartier du Panier à Marseille), rond-point proche du pont-bleu et Marcolet (gravats énormes et jardinet au milieu), quartier Marcolet (au-dessus de la tranchée couverte) avec vue en direction des monts du Jura, collège de Crissier, entrée du chemin de la rivière cachée Mèbre…
J’ai trouvé tous ces aspects éclatés, sans unité ni points de repère.
J’ai noté qu’en fin de compte ce qui me parlait n’était ni les lieux que je connaissais déjà (autour de rue de la Mèbre, Gram, Migros, Poste…) ni les nombreux recoins pittoresques et insolites dont Renens regorge, comme Renens village, le quartier sur le Marcolet, les anciens lieux industriels (chocolaterie, rue de l’industrie…) mais le chantier du Tramway et l’immédiate proximité de la galerie 1934.
J’aime les chantiers. J’en ai suivi de nombreux, tel celui de la Pyramide du Louvre. J’apprécie les odeurs, le mélange ambigu et paradoxal de construction/destruction, l’ambiance d’un monde possible tant qu’il est vide, tranquille, non affecté à une tâche.
C’était là le cœur mais aussi la clé, et sans calcul ni plan particulier je me suis arrêté là et j’ai regardé, attendant que différents éléments se connectent.
Je travaille habituellement sous 2 formes :
- photos d’architecture et paysage
- ensemble d’images constituant un récit en noir & blanc (référence à Sam Fuller « reality is in colour but black and white is more realistic »)
Sous la première forme j’ai tout d’abord fait plusieurs photos aux lieux-clés cités plus haut, en prévoyant une forte verticalité pour s’adapter au format de la fenêtre de la galerie 1934, mais finalement le récit en noir & blanc s’est imposé, car permettant de se débarrasser du vernis coloré des apparences et d’aller sur un autre plan, celui de l’imaginaire, accessible d’un simple déclic comme la graphie en noir & blanc, ombre et lumière (peut-être proche de ce qu’est la poésie en écriture).
Dans ce curieux format de la galerie 1934 (81 x 146 cm vertical) qui convient bien aux vues d’architecture et non à celles des paysages habituellement horizontales, moi qui ai réalisé tant de vues verticales, j’ai paradoxalement opté pour 3 vues horizontales mais qui se succèdent dans un axe haut-bas.
3 indique aussi le rythme ternaire (non binaire donc) de la valse ; c’est le nombre de l’ouverture, de l’irrésolution.
J’ai eu ces 3 visions :
- plaques de goudron arrachées à la rue opposées aux Alpes dans les brumes lointaines
- racine anthropomorphe ou zoomorphe
- KING
Puis j’ai attendu la bonne lumière pour chacune d’elles :
- contre-jour matinal pour la 1 (plaques extra-sombres contrastant avec les Alpes des lointains)
- pas de forte lumière pour la 2, de façon à ce que la frêle racine ne soit pas écrasée par les masses des wagons et structures ferroviaires que le contraste lumineux aurait amplifiées
- forte lumière rasante en contre-jour pour la 3, pour magnifier la majesté.
Anecdote : quand je me tenais devant les plaques de goudron, l’une a subitement glissé, au milieu du silence, dans un bruit de dalle-piège se refermant sur les explorateurs imprudents (Indiana Jones ou Tomb raider)
La signification de ce mini-récit n’est pas donnée (même pour moi) mais j’aime l’idée que le Roi puisse revenir. Le Roi n’est pas du tout le tyran mais au contraire celui qui rassemble, réunit sans uniformiser ni amalgamer, avec une tranquille et aimante autorité qui va de soi. Le Roi est en chacun de nous, c’est notre secrète et irréalisée propension à la paix, la tranquillité au milieu du fracas, gesticulations, désirs inassouvis de toujours détruire pour toujours reconstruire en plus grand ou plus vert, plus écologique ou responsable, plus éthique ou respectueux (…) mais toujours en opposition et non en accord et connexion.
Le Roi est ici. Depuis toujours. Il suffit d’un déclic pour le réaliser, pour créer le passage de l’ombre à la lumière.
Sur ce blog vous pouvez voir d’autres récits : « Mes morts vivent » et « Rayons noirs« . Et d’autres encore sur mon site.
Trois sont disponibles sous forme de livres.
Et trois vidéos.